Parler de soi

img_20190221_1349034773566302476372690.jpgUne tasse de café fumante.
La pièce est bercée d’une brume invisible.
La brume de l’esprit.
Invisibles détails d’une vie que l’on ne cesse de décrire, d’écrire.

Quel que soit le support, quel que soit l’objet du crime, stylo, clavier, carnet, écran, les lignes se noircissent. Des mots tout droit sortis de notre esprit, de cette mécanique sensible que l’on nomme soi. Certains de nos mots se jettent pour évacuer les maux qui nous rongent. Ils ne devraient pas voir le jour. Ne pas être lus par un autre que soi, une simple trace de l’instant de fracture, du jour glorieux, du jour sombre. Ombre de notre être et de l’histoire que l’on traîne bien moins aisément que le masque social dont on sait se parer. C’est là, c’est sensible, c’est prégnant, ça déborde de toute part. Il faut le contenir, apprendre cela, du temps, ne pas se laisser submerger, chaque chose à sa place, les classer, les ranger en cas de besoin, ne jamais les oublier pour ne pas s’oublier, soi. Détails vibrants qui forment les contours mouvants de l’être, authenticité, unicité de l’homme ou de la femme que les années nous ont fait devenir.

Écrire. Se saisir un jour de l’objet du crime et jeter les premières traces de cette histoire. Un jour. Quand ? À treize ans du mieux que je me souviens. Peut-être avant. Morceaux. Objets non identifiés, qui ne méritent, aujourd’hui, aucune autopsie. Inutile de se pencher sur les bribes de l’immaturité. Il y a mieux à faire. L’objet est trop lisse, sans formes, il se perd dans d’inutiles palabres. L’oublier est le seul honneur qu’on peut lui faire. Adieu, donc. Aucune importance. Ne portons pas le deuil de la médiocrité. Nous l’avons tous rencontré un jour, heureusement. La perfection est d’un mortel ennui. Digressions. Revenir ici, ne pas se perdre. N’était-ce pas là, la ruse, le renard qui tente de fuir la vérité. Parler de soi. Aucune envie. Qui ma vie peut-elle intéresser au point d’en faire un ouvrage, donner à lire ces éléments que l’on porte en soi ? Personne. Peu vous importe le mythe de cette famille originaire de partout, implantée nul part. Ces ornements dorés ou disgracieux qui encadrent nos jours. Pourtant. C’est là. Tous les jours. À chaque instant. Dans chacun de nos gestes. Filiation impossible à effacer. Composants irremplaçables de notre subtilité. Objet suppléant de notre crime. Écrire. Raconter. Des histoires. Celles d’autres. Des hommes. Des femmes. Personnages connus ou inconnus. Silhouettes que l’on dessine à force d’adjectifs, ou de qualifiants parfois extravagants. Qui sont-ils ? Pures créations ? Miroir de l’auteur qui se cache derrière des murs de mots ? Les deux, mêlés l’un à l’autre, dans un corps-à-corps si intense qu’il en déclenche parfois une onde d’excitation puissante, qu’elle ressemble à s’en méprendre à un orgasme. Honte dont on n’ose s’épancher.

Les mots parlent à notre place. Donnent ce que l’on ne voudrait dévoiler. Sous une forme, sous une autre. Une esquisse, quelque chose d’insaisissable à ceux qui ne connaissent pas, qui ne savent pas. Qui d’autre que soi pour comprendre à la relecture, ce que l’esprit a voulu donner, livrer ici par fragments flous ? Personne. Nous offrons nos mots à la lecture, nous offrons tout, laissons vivre ce qui ne nous appartiendra plus. Le partage bienveillant qui fait du bien, délivre de quelques grammes invisibles à l’œil nu. Avez-vous vraiment besoin que je vous parle de moi ?

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